Charte du patrimoine bâti vernaculaire

Le patrimoine bâti vernaculaire suscite à juste titre la fierté de tous les peuples. Reconnu comme une création caractéristique et pittoresque de la société, il se manifeste de façon informelle, et pourtant organisée; utilitaire, il possède néanmoins un intérêt et une beauté. C’est à la fois un reflet de la vie contemporaine et un témoin de l’histoire de la société. Bien qu’il soit oeuvre humaine, il est aussi le produit du temps. Il serait indigne de l’héritage de l’humanité de ne pas chercher à conserver et à promouvoir ces harmonies traditionnelles qui sont au coeur même de son existence et de son avenir.

Le patrimoine bâti vernaculaire est important car il est l’expression fondamentale de la culture d’une collectivité, de ses relations avec son territoire et, en même temps, l’expression de la diversité culturelle du monde.

La construction vernaculaire est le moyen traditionnel et naturel par lequel les communautés créent leur habitat. C’est un processus en évolution nécessitant des changements et une adaptation constante en réponse aux contraintes sociales et environnementales. Partout dans le monde, l’uniformisation économique, culturelle et architecturale menace la survie de cette tradition. La question de savoir comment résister à ces forces est fondamentale et doit être résolue non seulement par les populations, mais aussi par les gouvernements, les urbanistes, les architectes, les conservateurs, ainsi que par un groupe pluridisciplinaire d’experts.

En raison de l’uniformisation de la culture et des phénomènes de mondialisation socio-économiques, les structures vernaculaires dans le monde sont extrêmement vulnérables parce qu’elles sont confrontées à de graves problèmes d’obsolescence, d’équilibre interne et d’intégration.

Il est par conséquent nécessaire, en complément de la Charte de Venise, d’établir des principes pour l’entretien et la protection de notre patrimoine bâti vernaculaire.

Principes généraux

1. Les bâtiments vernaculaires présentent les caractéristiques suivantes :

a) Un mode de construction partagé par la communauté ;
b) Un caractère local ou régional en réponse à son environnement ;
c) Une cohérence de style, de forme et d’aspect, ou un recours à des types de construction traditionnels ;
d) Une expertise traditionnelle en composition et en construction transmise de façon informelle ;
e) Une réponse efficace aux contraintes fonctionnelles, sociales et environnementales ;
f) Une application efficace de systèmes et du savoir-faire propres à la construction traditionnelle.

2. L’appréciation et l’efficacité de la protection du patrimoine vernaculaire dépendent de l’engagement et du soutien de la collectivité, de son utilisation et de son entretien continuels.

3. Les gouvernements et les autorités compétentes doivent reconnaître à toutes les collectivités le droit de préserver leurs modes de vie traditionnels et de les protéger par tous les moyens législatifs, administratifs et financiers à leur disposition et de les transmettre aux générations futures.

Principes de conservation

1. La conservation du patrimoine bâti vernaculaire doit être menée par des spécialistes de diverses disciplines, qui reconnaissent le caractère inéluctable du changement et du développement et le besoin de respecter l’identité culturelle de la collectivité.

2. Les interventions contemporaines sur les constructions, les ensembles et les établissements vernaculaires doivent respecter leurs valeurs culturelles et leur caractère traditionnel.

3. Le patrimoine vernaculaire s’exprime rarement par des constructions isolées et il est mieux conservé par le maintien et la préservation d’ensembles et d’établissements représentatifs, région par région.

4. Le patrimoine bâti vernaculaire fait partie intégrante du paysage culturel et cette relation doit donc être prise en compte dans la préparation des projets de conservation.

5. Le patrimoine vernaculaire ne comprend pas seulement les formes et les matériaux des bâtiments, structures et des lieux, mais également la manière dont ces éléments sont utilisés et perçus ainsi que les traditions et les liens intangibles qui leur sont reliés.

Orientations pratique

1. Recherche et documentation

Toute intervention physique sur une structure vernaculaire devrait être menée avec prudence et précédée d’une analyse complète de sa forme et de sa structure. Ce document devrait être conservé dans des archives accessibles au public.

2. Emplacement, paysage et groupes de bâtiments

Les interventions sur les structures vernaculaires devraient être menées dans le respect et le maintien de l’intégrité de l’emplacement, de la relation avec les paysages physiques et culturels et de l’agencement d’une structure par rapport aux autres.

3. Systèmes de construction traditionnels

Le maintien des systèmes de construction traditionnels et du savoir-faire lié au patrimoine vernaculaire est capital pour l’architecture vernaculaire et essentiel pour la réfection et la restauration de ces structures. C’est par l’éducation et la formation que ce savoir-faire devrait être conservé, enregistré et transmis aux nouvelles générations d’artisans et de bâtisseurs.

4. Remplacement des matériaux et des éléments architecturaux

Les transformations qui satisfont légitimement aux exigences modernes devraient être réalisées avec des matériaux qui assurent la cohérence de l’expression, de l’aspect, de la texture et de la forme de l’ensemble de la construction et la cohésion des différents matériaux entre eux.

5. Adaptation

L’adaptation et la réutilisation des constructions vernaculaires devraient être effectuées dans le respect de l’intégrité de la structure, de son caractère et de sa forme tout en étant compatibles avec des standards de vie acceptables. La pérennité des modes de construction vernaculaire peut être assurée par l’élaboration par la collectivité d’un code d’éthique qui peut servir aux interventions.

6. Changements et restauration d’époque

Les modifications apportées dans le temps aux bâtiments doivent être appréciées et comprises comme des éléments importants de l’architecture vernaculaire. La conformité de tous les éléments d’un bâtiment à une même période ne sera pas, en général, l’objectif des interventions sur les structures vernaculaires.

7. Formation

Afin de conserver les valeurs culturelles de l’architecture vernaculaire, les gouvernements, les autorités compétentes, les groupes et les organismes devraient mettre l’accent sur :

a) Des programmes éducatifs susceptibles de transmettre les principes du patrimoine vernaculaire aux conservateurs ; 

b) Des programmes de formation pour aider les collectivités à préserver les systèmes de construction, les matériaux et le savoir-faire traditionnels ;

c) Des programmes d’information qui accroissent la sensibilisation du public et des jeunes en particulier dans le domaine de l’architecture vernaculaire ;

d) Des réseaux inter-régionaux d’architecture vernaculaire pour échanger des expertises et des expériences.

CIAV :

Madrid, 30 janvier 1996

Jérusalem, 28 mars 1996

Mikkeli, 26 février 1998

Saint-Domingue, 26 août 1998

ICOMOS : Stockholm, 13 septembre 1998