Installée dans la vallée reculée de l’Omo, dans le sud de l’Éthiopie, près de la frontière soudanaise, l’ethnie Mursi forme une communauté sédentaire au mode de vie traditionnel. Longtemps restés à l’écart des infrastructures modernes, ils sont pourtant connus dans le monde entier pour les plateaux labiaux — ornement emblématique porté par les femmes Mursi, qui suscite une fascination durable.
À l’approche de la maturité sexuelle, vers 10 ou 11 ans, les jeunes filles se voient extraire les incisives inférieures, puis percer la lèvre inférieure par leur mère ou une femme de la tribu. Une cheville en bois est insérée pour maintenir l’ouverture, dont la cicatrisation peut durer plusieurs mois. Par la suite, l’orifice est progressivement étiré à l’aide de cylindres de bois de diamètres croissants. Lorsque la taille souhaitée est atteinte — parfois jusqu’à 12 centimètres — le cylindre est remplacé par un disque d’argile que chaque femme décore selon ses préférences.
Le plateau labial transforme la personne qui le porte : poids, forme et position modifient la posture, la démarche, jusqu’à imposer des gestes spécifiques pour éviter les accidents. Si la décision de percer la lèvre revient théoriquement aux adolescentes, la pression communautaire et la valeur symbolique associée à la pratique conduisent la majorité d’entre elles à l’accepter.
Contrairement à d’autres groupes voisins — comme les Me’en ou les Nyangatom — qui percent la lèvre inférieure sans en élargir l’orifice et portent un bijou en permanence, les femmes Mursi ne mettent leur plateau labial que lors d’évènements particuliers : cérémonies, rites ou festivités. En l’absence d’hommes, elles l’ôtent. La plupart du temps, la lèvre distendue pend donc au-dessus du menton, inerte, au point que la langue Mursi a intégré cette réalité physiologique en éliminant certaines consonnes labiales comme f, v ou p.
Objet de fierté, marque identitaire forte, rite initiatique douloureux dans son installation et contraignant au quotidien, le plateau labial conserve une origine et une fonction difficiles à établir avec certitude. On prétend parfois que son diamètre correspond à la valeur de la dot exigée pour le mariage de la jeune fille. Pourtant, de nombreux mariages étant arrangés durant l’enfance, la dot est souvent fixée bien avant toute perforation. Une autre théorie veut qu’il ait servi à rendre les femmes moins attirantes pour les esclavagistes ; elle ne tient pas compte du fait que la pratique du labret n’est ni exclusive à l’Afrique, ni réservée aux femmes. Chez les Kayapo du Brésil, par exemple, les hommes plus âgés portent eux aussi un disque de plusieurs centimètres de diamètre dans la lèvre inférieure.
À l’instar d’autres formes d’ornementation corporelle répandues dans le monde — perçages, tatouages, scarifications ou circoncisions — le plateau labial mursi apparaît avant tout comme un marqueur de passage à l’âge adulte et du potentiel reproductif. Il constitue une médiation entre l’individu et la société : un pont entre le corps biologique et le rôle social.
En 2013, le jeune photographe polonais Adam Koziol a entrepris de documenter les cultures tribales à travers leurs traits physiques, tatouages, scarifications, ornements et formes d’expression corporelle qui caractérisent chaque groupe. Il a visité une douzaine de tribus en Asie et en Afrique, dont les Mursi.











