Le Népal en argentique par Alexandre Linon

enfants tibetains portrait

Bande de terre étroite de 800 km de long sur 200km de large coincée entre la Chine et l’Inde, le Népal constitue un véritable carrefour culturel profondément ancré dans ses traditions. Tant au niveau géographique que culturel, le Népal offre une diversité incroyable. Anciennement composé de plusieurs royaumes, on y recense en effet une soixantaine d’ethnies différentes parlant leur propre dialecte et ayant leur propre culture.

En 1993, Alexandre Linon – tailleur de pierre et photographe français – arrive au Népal comme chef de chantier sur le programme franco-népalais de construction d’ouvrages neufs et de restaurations de monuments historiques. En 2001, alors que débute la guérilla maoïste, il rejoint la Croix Rouge en tant que traducteur jusqu’en 2003, date de son départ définitif.

Durant ces 10 années, Alexandre Linon ne va cesser de photographier le Népal, que ce soit son architecture, ses habitants, ses rites traditionnels et ses paysages. Aujourd’hui, les 2500 clichés qu’il a accumulé constituent un document précieux sur le Népal des années 90.

Scène de vie proche de la ville de Dhulikhel. Femmes portant de la nourriture ou autres choses dans leur doko.
© A.Linon / Argentic Nepal – Kavre district – 1995
Salle de classe et écolières
© A.Linon / Argentic Nepal – Bhaktapur – 1995
Peux-tu me parler du Népal  ?

Le Népal est une terre impressionnante de diversité. Sur 200 km de large, on y trouve les plus hautes montagnes, de magnifiques collines, des vallées et la jungle. Comme le Népal était composé de plusieurs royaumes, il possède une richesse culturelle incroyable.

Durant mon séjour là-bas j’ai pu effectuer plusieurs treks dans l’Himalaya, j’ai été de très nombreuses fois dans la jungle à la recherche du tigre ! J’ai fait de nombreuses virées en avion, en moto, en voiture, en bus à travers le pays, beaucoup d’escalade et de rafting. Bref, cela a été pour moi une aventure extraordinaire.

Comment es-tu arrivé là-bas ?

En 1993, doté de mes diplômes de tailleur de pierre spécialisé en restauration de monuments historiques et après avoir travaillé 2 ans à la restauration de la cour Napoléon du Louvre, je suis parti au Népal par le biais du ministère des Affaires étrangères, dans le cadre de mes obligations militaires, non pas comme porteur d’arme, mais comme chef de chantier. Pendant 18 mois (durée du service militaire à l’époque), j’ai donc participé à un vaste programme de développement (je dépendais de l’ambassade de France) qui consistait à construire ou reconstruire des écoles, des ponts, des routes, des réseaux d’assainissement, à restaurer des monuments historiques (temples, pagodes, etc.). Tout ceci s’est déroulé aux abords de la vallée de Katmandou, dans le district de Kavré, principalement dans le village de Panauti à environ 25 km de Katmandou.

 

Porteurs en attente de labeur.
© A.Linon / Argentic Nepal – Bhaktapur – 1995
Un vieux Pati dans la ville de Kirtipur (abri traditionnel Néwari).
© A.Linon / Argentic Nepal – Kirtipur, Kathmandu valley – 1999

Étais-tu plutôt observateur ? ou bien étais-tu intégré dans la vie de la communauté ?

Je crois avoir été les deux. Intégré dans une communauté, oui, car j’ai vécu plus de 2 ans et travaillé pendant 5 ans dans le village de Panauti, un village Newar (Newar = ethnie de la vallée de Katmandou – constructeurs et artistes de renom. Ce peuple aurait inventé le toit en pagode).

Ensuite, j’ai résidé dans les villes de Katmandou et Patan. Là, j’avais plus une vie de citadin, avec moins de proximité avec les gens alentour. Mais j’avais de nombreux amis népalais. Ils sont vraiment très accueillants et fort gentils.

Comment as-tu commencé la photo ? 

J’ai commencé la photo dès que j’ai commencé à travailler sur les chantiers de restauration de monuments historiques en France (Le château alchimique de Dampierre sur Boutonne, l’Abbaye royale de Saint Jean d’Angely, la cathédrale de Strabourg, l’église Saint Bernard à Paris, le Louvre). Je m’étais acheté un reflex Pentax P30 doté d’objectifs Pentax 28-80mm (f3,5-f4,5) et 80-200 mm (f4,7-f5,6).

Des Moulin à prières traditionnels sur les chemins de l’Helambu et du Langtang.
© A.Linon / Argentic Nepal – Helambu, Langtang – 1998
Méthode traditionnelle du séchage du riz au soleil – Village de Panauti.
© A.Linon / Argentic Nepal – Kavre district – 1993
Cérémonie de Belbibah au village de Panauti. Les petites filles Newars se marient au Seigneur Narayan. Traditionnellement, les filles Newars se marient 3 fois dans leur vie. Une fois avec le Seigneur Narayan, une fois avec le soleil et une fois avec leur vrai mari !
© A.Linon / Argentic Nepal – Kavre district – 1995

Quels sont tes photographes fétiches ?

Mes photographes fétiches sont : Irving Penn, Robert Capa, Henri Cartier Bresson, Mathieu Ricard (que j’ai connu au Népal) et Eric Valli (que j’ai également connu au Népal).

Quel était ton rapport à la photographie au Népal ?

Le Népal était un pays à photographes. Tout y était authentique, traditionnel et magnifique. Aujourd’hui je ne sais pas, car je n’y suis plus retourné depuis mon départ définitif à l’été 2003.

J’ai beaucoup photographié les premières années. Mais à partir de l’an 2000, la guérilla maoïste a débuté et j’ai donc cessé pratiquement de faire de la photo, car cela devenait compliqué. À cette période, les projets de restaurations ont fermé, car il n’était plus possible de travailler dans de bonnes conditions de sécurité. J’ai donc quitté l’ambassade de France pour joindre la Croix-Rouge internationale. Je suis devenu alors traducteur et je visitais les prisons à travers tout le pays pour vérifier que les conditions de détention des maoïstes étaient acceptables (le mandat de la Croix-Rouge internationale = droit international humanitaire, conventions de Genève).

 

Une petite auberge sur les chemins de l’Helambu et du Langtang.
© A.Linon / Argentic Nepal – Helambu, Langtang – 1998
Marchands de légumes sur l’avenue principale de la ville de Bhaktapur.
© A.Linon / Argentic Nepal – Bhaktapur, Kathmandu valley – 1995
Une petite gargote.
© A.Linon / Argentic Nepal – Chitwan, Terai – 1994

Avec quel materiel photographiais-tu ? 

J’ai principalement shooté avec un Reflex Pentax P30 doté d’objectifs Pentax 28-80mm (f3,5-f4,5) et 80-200 mm (f4,7-f5,6).

Pour les pellicules, le Népal était un pays assez touristique, on y trouvait donc de nombreux magasins photo qui vendaient et développaient les pellicules. J’utilisais principalement du Kodak Gold 100 ou 200 ASA.

Aujourd’hui, tes photos apparaissent comme un document précieux sur la vie népalaise de l’époque. Etait-ce justement ta démarche ? 

Je pensais que ce que je vivais n’était pas courant, c’est donc en toute conscience que j’ai pris de nombreuses photos durant les premières années. Je tenais à figer tous ses moments spéciaux que je vivais au Népal, car je savais qu’avec le temps et la mondialisation ce monde authentique disparaîtrait progressivement. Néanmoins, bien que mes compétences techniques en photo étaient limitées, j’avais le souci de l’esthétisme et cherchais à faire de « belles photos ». Mais ça n’a pas toujours été une réussite…

Le magnifique et mythique camion Tata !
© A.Linon / Argentic Nepal – Kavre district – 1995
Un sadhu faisant une petite sieste à Pashupatinath.
© A.Linon / Argentic Nepal – Kathmandu – 1993

Dans l’idéal, qu’aimerais-tu faire de tes archives ?

C’est une bonne question en effet. Je suis actuellement à la phase de numérisation des 84 négatifs que j’ai réalisés durant mon séjour là-bas (+/- 2500 photos). J’ai commencé par créer la page Facebook Argenticnepal, idem sur Instagram sur lesquelles je publie de temps en temps quelques clichés. À moyen terme je peux imaginer faire un livre qui serait en partie orienté architecture, car j’ai eu la chance que les autorités népalaises me confient le démontage et le remontage d’un temple bouddhiste (un Stuppa) vieux de plusieurs siècles, dont j’ai théoriquement les photos de toutes étapes. Ce qui est rare.

Peux-tu nous en parler?

Concernant la restauration du temple bouddhiste, c’était un projet de coopération franco-germano-népalais. L’idée était de restaurer ce temple bouddhiste ainsi que 2 autres petits temples hindouistes tout en formant des jeunes népalais aux techniques de restauration des monuments historiques.

Temple de Bouddha Chaitya avant restauration
© A.Linon / Argentic Nepal – Banepa, Kavre district – 1995
Temple de Buddha Chaitya en fin de restauration
© A.Linon / Argentic Nepal – Banepa, Kavre district – 1995
Temple de Buddha Chaitya après restauration
© A.Linon / Argentic Nepal – Banepa, Kavre district – 1995