Entre 2013 et 2018, Guy Giraud a réalisé une série photographique au Maroc, dans la région désertique du Tafilalet, sur les nouvelles constructions qui prolifèrent depuis une dizaine d’années à la périphérie des villes et des villages. Ces nouvelles habitations sans signature construites pour la petite classe moyenne, en plein désert sur le bord de la nationale qui dessert la ville de Tinghir, portent en elles, les signes et les symptômes des changements sociétaux rapides et profonds que connait cette région.
Dans un premier temps, nous serions tentés de percevoir ces nouvelles constructions comme des versions dégénérées des habitats traditionnels, agressant par leur modernité fruste l’authenticité du paysage désertique alentour. Mais si on les observe avec attention comme le fait Guy Giraud dans ses photographies, on remarquera que ces nouvelles habitations ne sont pas que le produit d’une rupture radicale entre le nouveau et l’ancien. Chacune d’elles mixe et recycle de façon singulière au gré de la fantaisie de leur client et de leurs moyens, un bon nombre d’éléments propres à la culture vernaculaire, mêlés à d’autres, qui part leurs traits culturels ont de tout autres origines.
On peut observer sur les façades des habitations de Tinghir un bon nombre de signes et de symboles Berbères ayant des fonctions magiques : croix pour chasser le mauvais œil , soleil stylisé comme gardien du foyer, motifs en peigne ponctués de points évoquant la prospérité…etc. Ces signes et symboles ne sont pas tous issus du vocabulaire architectural traditionnel, mais puisent par déplacement leur origine sur les motifs des tapis ou des tatouages Berbères. Les portiques d’entrée des habitations sont le plus souvent très ornés comme c’est le cas pour les portes des anciens Ksours. Bon nombre d’entre eux ont désormais adopté un fronton en triangle de type gréco-latin tout en conservant un débordement en tuiles vernissées typique à cette région. Nous pouvons aussi constater que les tours évoquant l’architecture des anciennes Casbah en pisé sont parfois encore présentes de façon amoindrie. La palette des styles des grilles en fer forgé posées devant les fenêtres est désormais des plus éclectique. Il existe maintenant dans la région des grilles en fer forgé à la rigueur géométrique « Mondrianesque ». Certaines ont absorbé des ornements en provenance des arts décoratifs coloniaux des années vingt, tandis que d’autres sont ornées de roses métalliques en relief. Motif nullement incongru dans cette région puisque la culture des roses est pratiquée dans certaines oasis toutes proches.
Pour se protéger du soleil, ces nouveaux habitats possèdent généralement des ouvertures que sur une seule de leur face et selon l’angle de vue, ils apparaissent dans le paysage comme des grands blocs colorés monumentaux minimalistes.
La série de photographies que nous propose Guy Giraud, réalisée sur le long terme, tient à nous montrer que les mutations urbaines et leurs types d’habitats sont avant tout le produit de transformations socio-culturelles multiples et complexes, portant en elles, par accumulations successives, une mémoire faite de continuité et de rupture nous invitant à penser le temps comme un continuum des plus hétérogènes.
Né en Montélimar en 1963, Guy giraud est un photographe plasticien français. Il vit et travaille à Bruxelles depuis 1998.
A l’origine sculpteur et installateur, son travail bascule, à partir de 2006, vers la photographie qui deviendra son mode d’expression privilégié. La photographie est pour Guy Giraud un moyen de poursuivre son travail de sculpteur par d’autres moyens et d’accéder à de nouvelles sensations lui donnant la possibilité de dépasser et déplacer les limites de son atelier. Bon nombre de ses travaux photographiques reflètent son intérêt pour le bâti et les problématiques urbaines .