Cet article fait parti du dossier “L’île Naoshima, des espaces autres”
«J’ai imaginé un bâtiment qui mélange différentes formes géométriques dont une grande partie est enterrée. Les visiteurs alternent de manière inconsciente les espaces intérieurs et extérieurs et ainsi regardent les oeuvres d’art dans le paysage local.» – Tadao Ando
En 1989, la fondation Benesse (l’une des plus grandes sociétés d’éducation du Japon et mécène d’art) décide d’investir l’île Naoshima, dans la région Okayama au Japon, pour la transformer en un espace dédié à l’art. Elle mandate l’architecte Tadao Ando pour construire un complexe muséologique sur les hauteurs de l’île.
L’architecture enterrée
Construit en 1992, le Benesse House Museum, est le premier musée ouvert dans le cadre du projet artistique de Naoshima. C’est un bâtiment complexe composé d’un musée qui occupe le premier étage et le sous-sol, et d’un hôtel qui investit les étages supérieurs. Semi-enterré, il se situe en hauteur sur le flanc de la colline et se déploie autour d’un volume central en forme cylindrique. La hauteur sous-plafond mesure 10m et 10m de diamètre. Il comporte une unique ouverture en cône vitrée qui reçoit la lumière zénithale. Dépourvu de vue sur le paysage, Ando souligne ici le rapport entre ‘le ciel et la terre’. Sentir la profondeur signifie chez Ando sentir la présence physique de la terre. Ce volume cylindrique relie les deux espaces en forme de parallélépipède. Enterrés et surmontés, ils viennent s’orienter selon les différents axes qui s’ouvrent dans les différents paysages de Naoshima. Grâce à la topographie qui change sa hauteur, elle fait réapparaître le paysage selon l’endroit qui devient un fond paysager de certaines oeuvres d’art.
Benesse House Museum est ouvert toute la nuit pour les clients de son hôtel qui ont un accès direct au musée. Ici, l’art devient accessible, du moins pour ses clients. Dans la continuité de cette idée, une oeuvre d’art est exposée dans chacune des chambres. Cependant malgré le fait que le Benesse Museum est semi-enterré, on lit cette architecture comme un bâtiment notamment la partie des hôtels dont les façades sont encore visibles. Tadao Ando cherche ici les rapports spatiaux entre l’espace intérieur et le paysage en sculptant ces volumes sans les enterrer complètement.
Le Benesse House Museum est à l’origine conçu pour accueillir et exposer la collection d’art de la société Benesse. Les œuvres d’artistes célèbres tels que Jackson Pollock, Frank Stella et David Hockney y sont les premières installées.
L’art in situ
À partir de 1996, le musée opère un changement de politique et commence à inviter des artistes contemporains à venir sur place pour réaliser une oeuvre ‘in situ’. Afin de créer une interaction entre le lieu et l’oeuvre, les artistes commissionnés ont ainsi la possibilité de choisir l’endroit où leur travail sera exposé, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Benesse House Museum.
En 1996, l’artiste grec Jannis Kounellis est la première personne invitée à participer. Intitulé «Sans titre», son œuvre consiste en une installation d’objets livrés par la mer, enroulés dans des couches de toile. Les objets utilisés sont des matériaux manufacturés comme des plaques de verre ou des morceaux de bois utilisable pour la construction de l’oeuvre. Une fois sur l’île, l’oeuvre est réalisée avec la coopération des habitants de Naoshima. Le projet de Yannis Kounellis, ainsi que sa mise sur pied collective, donne une orientation aux futurs projets qui vont arriver à Naoshima.
Kounellis décide d’installer son oeuvre dans une fenêtre qui, à l’origine, n’était pas destinée aux installations artistiques.
La même année l’artiste japonais Yasuda Kan réalise «Secret of the Sky». Le musée Benesse demande à Yasuda de réaliser une sculpture pour investir une cour au sous-sol du musée qui est encadrée par des murs d’une hauteur de 9m. Lors que Yasuda Kan visite cet espace, il imagine une sculpture douce aux formes arrondies afin de contraster avec le mur rigide de l’architecture de Ando. Il veut que cet objet interpelle les visiteurs et les invite à sortir dans la cour.
L’artiste Yoshihiro Suda quand à lui choisit un mur situé à l’extérieur du musée comme support de son oeuvre «Weeds». Yoshihiro Suda travaille sur des installations ordinaires et minutieuses des plantes. Les oeuvres de Yoshihiro sont tellement intégrées dans l’environnement que l’on peut passer devant sans même les apercevoir. En plaçant son oeuvre en haut du mur, l’artiste confronte la rigidité du support à la fragilité du médium végétal afin de faire naître une tension qui invite le regard des spectateurs à une autre échelle.
Ces installations qui jouent sur l’imprévu pour interpeller le visiteur participent à l’expérience physique et sensorielle du visiteur.
Au Benesse Museum, la possibilité donnée à l’artiste de choisir l’endroit où sera installé son travail, permet un champ de réflexion plus vaste. Ainsi les artistes commencent par un travail personnel qu’ils développent ensuite vers une interprétation spatiale intégrée dans au langage architectural de Tadao Ando. Cette interaction naturelle permet une vraie intégration de l’oeuvre dans l’espace.
Si au Benesse museum, c’est toujours l’oeuvre d’art qui doit s’adapter à l’architecture, le Chichu Museum, construit plus tard, est vraiment remarquable dans le sens ou son espace est dessiné et imaginé en fonction de chaque oeuvre. L’artiste et l’architecte dialoguent pour se mettre d’accord sur la façon de créer l’environnement le mieux adapté à l’oeuvre spécifique. Ça permet également à l’architecte d’éviter l’espace standardisé et neutre.